Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/61

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il n’y a pas de raison pour que nous nous joignions, jamais, ce jaguar et moi. Là… c’est bien, à la bonne heure ; la main ferme, il ne faut pas déranger la mienne. Il est important que je tue l’animal du premier coup, sans quoi l’un de nous est perdu ; car nous aurions à lutter contre le mâle blessé et la femelle pleine de vie. »

Le jaguar descendait tranquillement le cours de l’eau sur son piédestal flottant, et la distance se comblait petit à petit entre la pirogue et lui. Déjà on pouvait distinguer nettement ses yeux de feu roulant dans leurs orbites, et les ondulations de sa queue qui s’agitait en serpentant. L’Indien le visait au mufle et allait lâcher la détente de sa carabine, lorsque la pirogue commença de remuer si étrangement, qu’elle semblait soulevée par la houle de la mer.

« Que diantre faites-vous donc, Clara ? s’écria l’Indien avec colère ; il me serait impossible ainsi d’attraper tout un troupeau de tigres. »

Mais, soit que Clara le fit à dessein, soit que la terreur troublât ses sens, les oscillations devenaient de plus en plus violentes sous son aviron convulsif.

« Le diable vous emporte ! s’écria de nouveau l’Indien avec rage ; je le tenais là, entre les deux yeux. »

Et, déposant sa carabine, il arracha les rames des mains de Clara.

Ce ne fut pas toutefois sans qu’une longue minute s’écoulât qu’il put réparer la maladresse de son compagnon, et il allait reprendre son arme, quand le jaguar poussa un rugissement formidable, puis, enfonçant ses crocs aigus dans le cadavre du buffle, il en arracha un lambeau sanglant, prit un élan terrible, et tandis que le corps flottant, repoussé par ses jarrets nerveux, s’enfonçait en tournoyant dans l’eau pour reparaître à dix pas plus loin, le tigre avait pris pied, d’un bond, sur la rive occupée par sa femelle.

L’Indien lâcha vainement un juron de païen ; il n’é-