Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un reste d’appréhension se mêlait cependant à la satisfaction de Clara. Les jaguars avaient fui, il est vrai, mais de quel côté ? Il rompit le premier le silence pour adresser cette question à Costal.

« Vous voulez savoir quelle direction ils ont dû prendre, répondit l’Indien : un raisonnement bien simple vous la fera connaître. Un buffle mort ne se rencontre pas tous les jours, et ce n’est qu’à regret, soyez-en sûr, que le tigre a lâché sa proie ; il sait par instinct de quel côté la rivière entraîne le cadavre, et il ira l’attendre en aval, au-dessous de la cascade que vous entendez gronder d’ici. »

Le murmure imposant des eaux, déjà entendu par Clara, devenait en effet plus distinct à mesure que la pirogue gagnait du chemin.

« Je ne dis pas cependant, reprit l’Indien, que la cascade le lui rendra en entier ; j’ai vu des troncs, d’arbres brisés en morceaux en roulant du haut en bas. »

Cette réponse péremptoire ne faisait qu’à demi le compte de Clara ; toutefois, comme la pirogue abordait au même instant, il n’en laissa rien paraître.

Les deux compagnons prirent terre, et quelques moments suffirent pour amarrer de nouveau la pirogue aux racines du saule dont elle avait été détachée.

« Ainsi ; reprit le nègre, vous croyez que les jaguars…

— Je suis à peu près certain de ce que je vous dis, et peut-être une demi-heure ne se passera-t-elle pas sans que vous entendiez de nouveau leur voix au fond du ravin, où nous aurons affaire tout à l’heure.

— Et vous ne craignez pas qu’ils ne cherchent à prendre leur revanche ?

— Je m’en soucie comme d’un fétu de paille de maïs ; mais nous n’avons que trop pensé à ces animaux ; heureusement qu’il n’y a pas de temps perdu. Je vous avais bien dit qu’une journée tout entière ne serait pas de trop pour leur donner la chasse, à moins qu’un hasard