Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/84

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« Soyez tranquille, nous le conduirons demain à l’hacienda, s’il vit encore ; ne pensez donc qu’à vous seul et à ceux qui pourraient pleurer votre mort ; quant aux jaguars, ne vous en inquiétez pas ; si votre cheval s’effrayait et refusait d’avancer en droite ligne à leur aspect, faites-lui entendre votre voix ; si vous étiez serré de trop près par eux, parlez-leur aussi : la voix humaine est faite pour porter le respect chez tous les animaux, même les plus féroces. Les blancs ne savent pas cela, parce que leur métier n’est pas de les combattre, comme celui de l’homme rouge ou de l’homme noir, et je pourrais vous citer une de mes aventures en ce genre avec un jaguar… Ah bah ! le voilà parti. »

L’indien s’arrêta, car en effet Tres-Villas ne l’écoutait plus ; préoccupé seulement du soin d’échapper à l’inondation, il bondissait déjà sur la savane blanchie par la lune, dans la direction de l’hacienda et loin de Costal.

« Il est brave et franc, dit celui-ci ; c’eût été dommage qu’il lui fût arrivé malheur. Il est fâcheux qu’il ait été forcé de nous interrompre : c’est un contre-temps, et voilà tout ; à sa place, j’en aurais fait autant. Tout n’est pas encore perdu, d’ailleurs, et nous pourrons…

— Hum ! interrompit Clara, je commence à trouver que c’est assez d’aventures pour un jour ; tant que je serai dans le voisinage de ces tigres…

— Fi donc ! Clara, vous devriez avoir honte ; voyez ce brave jeune homme qui n’a jamais vu un tigre de sa vie, et qui ne s’en préoccupe pas plus que d’une bande de rats des Champs.

— Soit ! eh bien ! que pourrions-nous faire encore ? répondit Clara d’un ton assez maussade.

— L’esprit des eaux, reprit l’Indien, ne daigne pas seulement se montrer dans l’écume des hautes cascades ; il apparaît aussi parfois à ceux qui l’invoquent aux sons de la conque marine, parmi les flots jaunis de l’inon-