Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/35

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séparait de la grève. L’étranger fit un mouvement pour se retourner du côté de la terre, et au même instant Pepe, lâchant les branches froissées d’un arbuste auquel il était suspendu, s’élança à ses côtés, comme un tigre sur sa proie.

« C’est moi, dit-il ; ne bougez pas, ou vous êtes mort, ajouta-t-il en appuyant le canon de sa carabine sur la poitrine de l’étranger stupéfait.

— Qui, toi ? répondit celui-ci dont les yeux, étincelants de fureur, ne se baissèrent pas devant l’attitude menaçante de son ennemi.

— Eh ! parbleu, Pepe, vous savez bien, Pepe qui dort toujours.

— Malheur à lui s’il m’a trahi ! dit l’étranger comme s’il se parlait à lui-même.

— Si vous parlez de don Lucas, interrompit le carabinier, je puis vous assurer qu’il en est incapable, et, si je suis ici, c’est qu’il a été trop discret, seigneur contrebandier.

— Contrebandier ! dit l’inconnu d’un ton de superbe dédain.

— Quand je dis contrebandier, reprit Pepe d’un air satisfait de sa perspicacité, c’est pour flatter, car vous n’avez pas une once de marchandise, à moins que ceci ne soit un échantillon, » continua-t-il en montrant du pied une échelle de cordes roulée dans le fond du canot.

Placé face à face avec l’inconnu, Pepe put l’examiner à son aise. C’était un jeune homme de vingt-cinq ans environ.

Il avait le teint hâlé du marin. Des sourcils épais et foncés se dessinaient vigoureusement sur un front osseux et large. De grands yeux noirs, brillant d’un feu sombre au fond de leurs orbites, annonçaient d’implacables passions. La bouche de l’inconnu était arquée et dédaigneuse. Les plis de ses joues, fortement marqués malgré sa jeunesse, lui donnaient au plus léger mouvement une expression de froid dédain, d’arrogance ou de mépris.