Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/42

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— Sans doute, pas tous les mêmes ; mais pourtant, combien auraient à se plaindre comme moi. Si ce ne sont pas les maîtres, ce sont les contre-maîtres qui, les premiers, corrompent nos filles et nos femmes ; car ces manufactures, c’est trop souvent pour elles l’infamie.

— Au moins, reprit encore la femme de Gendoux, ne parle pas de Geneviève ; c’est bien assez qu’elle nous ait quittés. Il ne faut pas qu’on sache tout notre malheur.

— Ah ! tu crois qu’on l’ignore ! répliqua le fileur dont le visage devint pourpre. Geneviève était la plus belle fille de la fabrique. Tout le monde la connaissait, et tout le monde savait bien que ce libertin de Lomas ne venait visiter la carderie que pour la voir. Depuis longtemps ses amies, et les hommes aussi, enrageaient contre elle parce qu’elle était sage. À la fabrique, un air modeste c’est un scandale ! Aussi maintenant que ne dit-on pas ? Parfois, il m’en arrive des bruits jusqu’aux oreilles, et elles me tintent à m’étourdir ; le sang me monte aux yeux ; je vois tout rouge, et je voudrais tuer quelqu’un. Mais il y a une meilleure vengeance. Je la tiens. »

Thérèse s’était assise, et elle essuyait avec le coin de son tablier les larmes qui roulaient sur ses joues.

« Ah ! je te le disais bien, Gendoux, il ne fallait pas l’envoyer dans ce gouffre. Si elle était restée dentelière !

— Tu ne te souviens donc pas ? J’étais malade ; mon genou m’empêchait de travailler. Comme sarrautière tu gagnais douze sous, et Geneviève un franc avec sa dentelle. Encore lui fallait-il passer une partie de la nuit. Et quand je la voyais pâle, les yeux fatigués, toujours courbée sur son carreau, avec cette petite toux qui m’inquié-