Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/95

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Elle s’engagea alors dans une critique sur l’éducation et sur le mariage. La conversation me prouva combien, du fond de sa solitude, cet esprit juste, éclairé par les malheurs de sa famille, avait appris à connaître le monde et les passions.

— Après de longues réflexions, dit-elle, sur la douloureuse destinée d’Henriette et de Gabrielle, j’ai dû conclure que cette destinée avait été le résultat nécessaire de notre éducation superficielle et de notre vie sédentaire à Domblans, où nous ne pouvions apprécier le monde qu’à travers nos jeunes illusions. Aussi, puisque M. de Morges m’a confié cette enfant, je me propose de lui donner une éducation qui, en développant surtout les facultés de l’esprit, contrebalance son excessive sensibilité ; et quand elle aura quinze ou seize ans, nous habiterons une grande ville où je la produirai dans le monde, afin de le lui faire connaître tel qu’il est, et de lui épargner ainsi ces dangereuses illusions dans lesquelles on se plaît à entretenir les jeunes filles. Je pourrai alors lui laisser impunément une entière liberté dans sa conduite et dans ses affaires de cœur. Cependant je la détournerai du mariage aussi longtemps que possible, du moins jusqu’à ce qu’elle ait pu apprécier assez complètement un homme pour ne conserver aucun doute sur son caractère et sur son amour. Si je recommençais ma vie, ajouta Renée avec un soupir, au lieu de prendre le sentiment au sérieux, je m’appliquerais à jouer dans le monde un rôle de coquette. Dans un siècle si corrompu, où les hommes placent le culte du veau d’or au-dessus de tous les autres ralliant l’amour et ses sublimes délicatesses, une femme coquette qui ne prend de tels hommes que ce qu’ils peuvent don-