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Une sentinelle montait la garde à la porte. Après les habituels signes de respect il s’effaça devant les deux hommes. Là tout était moderne : un lit anglais, un lavabo avec son nécessaire de toilette. Un bureau, des fauteuils, un water-closet masqué par un rideau, une baignoire à chauffe-bain au bois, en un mot, tout le confort moderne.

— Cette chambre avait été aménagée pour moi mais je ne m’en suis jamais servi dit Atahualpa II. Voici même le célèbre tableau « La Mort de Atahualpa » que j’ai fait racheter dans une vente à l’hôtel Drouot à Paris. Comme je crois que vous êtes fumeur, je vais faire venir quelques caisses de cigares à votre intention.

Maintenant je vais vous laisser. Quand le souper sera prêt je vous ferai appeler. Après avoir serré la main de Lucien il s’en alla. Une fois seul, celui-ci se mit à rêver à sa situation.

Jusqu’à présent tout allait selon ses désirs et il se trouvait très heureux. Pas tout à fait cependant : il y avait une ombre au tableau : l’image de Linda, cette adorable jeune fille.

S’il se prenait à l’aimer et si elle ne répondait pas à sa flamme ?

Il serait alors l’être le plus malheureux de la terre. Par contre s’il parvenait à se faire aimer et que l’inca désapprouvât leur amour qu’adviendrait-il ?

Tout en rêvant ainsi, arriva l’heure du souper. Un indien vint lui faire comprendre par signes de le suivre.

Peu après il était dans la salle à manger ; le repas se composait de riz entier, bouilli au bain-marie, de poitrail de mouton braisé et de quelques pâtisseries, de la chicha et du maté à volonté.

Après le repas il se retira dans sa chambre.

La nuit était venue entretemps. Soudain dans la solitude il perçut des sons bizarres qui provenaient du quartier des femmes. Une musique lugubre produite par le souffle d’un être humain dans des instruments en terre, coupa le silence de la nuit.

Puis des chants de femmes, des plaintes plutôt, accompagnèrent la musique ; Lucien se rappela soudain ce que c’était : « Les yarabies », chansons des anciens indiens où l’âme exhale sa douleur au souvenir du passé, de sa grandeur, puis de sa décadence. Elles se lèguent de père en fils comme une tradition. À ce moment la voix de Linda s’élevait cristalline, dans la quiétude de la nuit. Elle aime donc ce peuple ? se demanda Lucien. Moi aussi je l’aime et tant que je vivrai je me dévouerai pour sa cause ! Peu après les chants cessaient. Éteignant sa bougie il entra dans son lit.

Le lendemain matin ce fut Don Manuel qui vint le voir.

— Nous partons après-demain pour Iquitos lui dit celui-ci.

— Comme vous voudrez, répondit Lucien.