Page:Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales-T1-1854.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
EXHORTATION A L'ÉTUDE DES ARTS.

Si les premiers sont des hommes médiocres, nous le leur pardonnons volontiers, trouvant une excuse dans la bassesse de leur origine ; mais nous ne faisons aucun cas des nobles, s’ils ne se rendent pas dignes de leurs ancêtres, lors même qu’ils se distingueraient beaucoup du vulgaire. Il faut donc qu’un homme sensé apprenne un art[1] ; s’il est de bonne famille, cet art ne le fera pas déroger ; et s’il n’apporte pas le privilége de la naissance, il commencera sa race, imitant en cela le vieux Thémistocle. Comme on lui reprochait sa naissance : « Je commence, répondit-il, une race pour ceux qui me suivront ; la mienne commencera avec moi ; la vôtre finira avec vous[2]. » Mais voyez : on ne refuse au Scythe Anacharsis ni l’admiration, ni le nom de sage, bien qu’il soit barbare d’origine. Comme un jour on lui faisait affront de sa qualité de Scythe et de barbare : « Ma patrie, répondit-il, est une honte pour moi, mais toi tu es une honte pour ta patrie[3], » réduisant ainsi complétement au silence un homme qui ne méritait aucune considération, et qui ne pouvait se recommander que de son pays. Quand on examine les choses avec attention, on reconnaît que ce ne sont pas les villes qui font la gloire des citoyens, mais au contraire que ce sont les citoyens versés dans la culture des arts qui font l’illustration de leur patrie. D’où vient, en effet, la renomnée de Stagire, si ce n’est

  1. C’est à peu près la thèse soutenue par Rousseau dans son Émile. Seulement Galien s’arrête aux arts proprement dits, et Rousseau descend jusqu’aux métiers.
  2. On ne sait d’où Galien a tiré ce trait de Thémistocle ; toutefois Hérodote (VIII, cxxv), Platon (De Republ., I, p. 429 e), et d’autres auteurs racontent quelque chose d’analogue : « Comme un certain Timodème d’Aphidné disait à Thémistocle qu’il avait été honoré à Lacédémone, non pour lui-même, mais en sa qualité d’Athénien : — Il est vrai, répondit celui-ci, si j’étais de Belbinte (île du golfe Salonique) je ne recevrais pas de tels honneurs des Spartiates, mais, toi, tu n’en recevrais pas lors même que tu serais Athénien. » — Stobée (Floril., tit. lxxxvi, no 15, p. 493) et Plutarque (Apophth., p. 187 b) prêtent à Iphicrate tout ou partie de la réponse qui est mise par Galien dans la bouche de Thémistocle. — Du reste Cornélius Népos et Plutarque ne sont pas d’accord sur la noblesse de la famille de ce grand capitaine, et on n’a aucun moyen de savoir lequel des deux a raison.
  3. Voy. Diog. Laert., I, viii, 5. ― Dans Stob., Floril., tit. lxxxvi, no 16, p. 493, le mot est d’un tour moins heureux : « Je suis Scythe de nation, mais non de mœurs, » aurait répondu Anacharsis.