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JE SAIS TOUT

le comme vous voudrez, votre père, mort ou vivant, ne m’est rien. C’était un sot ! Un sot ! Je vous le dis.

Et son poing retomba encore sur la table.

— Quand il disait que je le volais, il mentait. C’étaient des affaires, de simples affaires. Je ne m’en cache pas, un homme me refait, ou c’est moi qui le refais. Tarraut a essayé de me rouler, mais j’ai été le plus fort. C’est la loi du monde.

— Peut-être la loi de votre monde à vous, monsieur, dit Brett en s’approchant de la jeune fille, mais il n’y a pas que celui-là. Ce serait un triste monde, vraiment, si tous ici-bas envisageaient ainsi l’existence.

Caleb se leva et lui fit face.

— Ce sera un plus pauvre monde pour vous dans l’avenir, mon jeune ami si vous continuez la vie de cette manière. Maintenant, écoutez-moi, je vous ai accordé un certain revenu de quarante livres par an. Je suppose que vous gagnez quelque chose avec ces bêtises-là. — Il jeta de nouveau un regard autour de lui. — Vous auriez gagné davantage si vous étiez resté honnêtement dans les affaires. Maintenant, je ne suis pas disposé à vous fournir cette somme le reste de vos jours, pendant que vous perdrez votre temps… Il faut faire deux choses d’abord : retourner aux affaires pour commencer.

— Non, pas ça, dit Donald avec fermeté. J’ai choisi ma manière de vivre et je ne suis pas disposé à adopter celle qui convient à des hommes tels que vous.

— Petit insolent ! s’écria le vieillard en fronçant les sourcils. Écoutez ce que je vous dis, renvoyez cette donzelle d’où elle vient.

— Cette demoiselle est mon amie, et elle continuera à l’être tant qu’elle le voudra bien, dit Brett en rougissant. Avez-vous encore quelque chose à dire ?

— Oui, ceci encore : c’est que je ne tolérerai pas votre impertinence et votre manière de vivre. À l’avenir, vous pouvez passer votre chemin, j’en ai fini avec vous.

— Très bien, dit Donald en tournant les talons et en claquant ses doigts.

— J’espère que vous trouverez toujours tout très bien, répliqua Caleb, railleur. Et je vous dirai quelque chose encore pour que vous sachiez ce que vous avez perdu. Il y a chez moi un testament dans lequel je vous laissais tout ce que je possède. Je le brûlerai ce soir. Au milieu de mes misérables parents, je vous comptais comme le meilleur, je m’aperçois que je me suis trompé ; allez de votre côté, peignez vos croûtes et crevez de faim, pauvre imbécile !

Et, en proie à une vive colère, Caleb s’élança vers la porte et tomba presque dans les bras d’un homme qui l’ouvrait à ce moment là. Il recula et dévisagea le nouveau venu, qui lui tendit la main en souriant.

— Mon cher Caleb, c’est vraiment un plaisir de vous rencontrer. Je vois que vous ne vous confinez pas absolument dans les limites de la Cité. Heureux de vous trouver pendant un moment entre les murs de la Bohême.

Après avoir jeté un coup d’œil sur les assistants, le survenant continua :

— Il me semble que j’arrive dans un moment de crise, votre jeune parent est fort agité et je m’aperçois que cette jolie personne est toute tremblante. Puis-je demander à quel sujet ?

Le nouveau venu était un homme ni vieux ni jeune. De curieuses petites rides striaient le tour de ses yeux et les coins de sa bouche. Son visage était rasé de frais, sauf sa moustache, qui était d’un noir étincelant. Sa mise, d’une négligence étudiée, lui donnait une singulière apparence de jeunesse et ses lèvres semblaient s’entr’ouvrir dans un perpétuel sourire.

Donald Brett l’accueillit par un salut très sec. Caleb lui lança un regard soupçonneux, sans prendre sa main tendue.

— Puisque vous voilà, dit enfin Caleb, vous pouvez entendre ce que je viens de dire à ce jeune garçon.