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Page:Gallon - Taterley, trad Berton, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/24

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JE SAIS TOUT

sa tête, la jeune fille se tenait sur le sofa qui servait de buffet dans les arrangements du mobilier,

Donald se retourna sur son siège pour faire face à l’intrus d’abord avec surprise, mais cette expression s’évanouit aussitôt. Ils demeurèrent quelques secondes en face l’un de l’autre, le cœur de Caleb battait d’une façon inusitée. La crainte d’être reconnu imprimait à sa voix un tremblement et une douceur qui eussent complété son déguisement, si la nécessité s’en était fait sentir.

— Taterley ! dit-il.

— Ah ! oui, je me souviens de vous, à présent ; vous êtes venu ici une ou deux fois, chargé des messages de mon oncle. Savez-vous bien que vous m’avez fait sursauter un moment ? J’ai cru que le pauvre vieux était revenu du royaume des ombres : vous lui ressemblez un peu.

— Il… il disait, en effet, que je lui ressemblais, fit Caleb vivement, en tournant son chapeau entre ses doigts.

— C’est vrai, dit le jeune homme. Entrez, entrez, que puis-je faire pour vous ? Je sais que mon oncle n’a rien prévu pour vous, bien que vous l’ayez servi si longtemps. Par Jupiter ! c’est bien lui ! Il ne m’a rien laissé, pas même un penny !

La manière de s’exprimer du jeune homme était si aimable et si franche, si dépourvue de hauteur, malgré son ton protecteur, que Caleb sentit se fondre son ressentiment.

— Oui, je sais, dit Caleb lentement.

La vision d’un malheureux vieillard à genoux devant lui et le suppliant vainement pour le jeune homme et le souvenir des traces de larmes sillonnant le visage du mort surgirent devant lui pour son humiliation.

— Mais je ne lui en veux pas, dit Donald en riant. J’ai été bien désolé d’apprendre sa fin subite, savez-vous, qu’il était venu ici quelques heures avant sa mort et qu’il nous a parlé, à miss Tarraut et à moi ? Il semblait très bien portant alors.

— Vous… vous étiez disputé avec lui ? demanda Caleb pour dire quelque chose.

— Oh ! ce n’est pas moi qui ai commencé, fit Donald. Il m’a dit qu’il n’aimait pas mes manières et je lui ai répondu que je n’aimais pas les siennes.

— Et alors, qu’est-il arrivé ?

Il se tourna vers Ella.

— Alors il a dit qu’il ne voulait plus jamais vous revoir et…

— Oh ! oui, je sais. Et alors il a commencé à dire des choses affreuses sur vous, dit Donald en fronçant les sourcils et en se levant. Je ne les lui aurais jamais pardonnées, eût-il vécu cent ans. D’ailleurs, songez à la misère qu’il a causée à vous et à votre père.

Il se mit à se promener de long en large devant la cheminée en proie à une grande agitation. Il y eut un silence.

— Mais vous n’y êtes pour rien, dit Donald enfin, en se tournant vers Caleb. J’ai appris cela par Krudar. Hector Krudar, vous savez, est venu ici hier soir et il m’a tout raconté. Il y tenait. Il paraît que c’est lui qui hérite de tout, jusqu’au dernier sou. Ça n’a pas pris long temps à mon oncle de se décider ce soir-là !

Il soupira en jetant les yeux vers la jeune fille qui le regardait et, s’approchant de Caleb, Donald revint à sa première question.

— Eh bien ! que puis-je faire pour vous, Taterley ?

— Rien. Rien, dit Caleb ne sachant que répondre. Je suis… tout à fait seul et je pensais que je pouvais… que vous excuseriez la liberté… que je prends de venir vous voir…