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JE SAIS TOUT

avait laissé Londres bien loin derrière lui. Il se trouvait au milieu des constructions de briques uniformes d’un faubourg. Il s’assit à l’ombre d’un mur pour prendre quelques aliments qu’il avait apportés avec lui. Il commençait à se sentir moins triste et plus vaillant, soutenu par son projet.

Les ouvriers, les paysans, les marchands ambulants qui passaient près de lui, les yeux tournés vers ce Londres attirant auquel il tournait le dos, l’examinaient avec étonnement. Mais il continuait son chemin, sans s’occuper de personne. Il n’était pas très robuste et ses pas étaient lents.

À la fin du premier jour, il se faufila dans une grange où il dormit jusqu’au matin, pour reprendre sa route jusqu’au moment où il fit halte dans une auberge, pour manger un peu de pain et de fromage et boire de la bière.

Enfin, il arriva au terme de son voyage, dans un joli petit village serré entre deux collines. Mais là, le courage parut l’abandonner. Peut-être, après tout, ne seraient-ils pas heureux de le revoir. Peut-être l’avaient-ils oublié, tout à leur nouveau bonheur et tomberait-il alors entre eux comme un intrus. Tenaillé par la crainte si forte d’avoir perdu leur affection, il fut sur le point de repartir.

Mais la souffrance de son isolement fut plus pressante que tout, et il se remit en marche, les pas chancelants et les yeux interrogateurs, errant aux alentours des petits cottages, sans oser rentrer.

Des femmes, devant leur porte, avec des petits enfants aux joues rouges pendus à leurs jupes, abritaient, avec leurs mains, leurs yeux du soleil pour regarder cet étrange vieillard tout poussiéreux. Les hommes, courbés sur leur travail, dans leurs jardins, se redressaient et s’arrêtaient à sa vue.

Caleb ayant enfin adressé quelques questions, on lui indiqua le cottage qu’il cherchait.

La maisonnette était un peu plus grande que les autres et Caleb aperçut un petit salon au plafond bas, avec un buffet garni de cuivres brillants et une table ronde devant une fenêtre, sur laquelle on avait posé un grand vase de fleurs, un charmant vieux salon, rempli des souvenirs du passé.

Une forte commère souriante l’informa que M. et Mrs. Brett étaient sortis, mais qu’elle les attendait pour souper. Caleb dit avec hésitation qu’il les attendrait ; la femme jeta un regard sur ses habits poussiéreux, puis sur les parquets immaculés, mais Caleb alla s’asseoir à la porte du cottage, sur un petit banc adossé au mur, ce qui simplifia tout.

Taterley était calme et paisible, le parfum apaisant des fleurs planait autour de lui, il entendait au loin les voix des paysans qui revenaient des champs. Il éprouvait la sensation d’un homme qui se réveille et revient à la vie, après une longue maladie et qui se contente de rester tranquille en laissant les choses suivre leur cours. Il n’avait plus aucun désir de s’enrichir, le passé n’était qu’un mauvais rêve sur lequel il souriait tristement, avec la joie de l’oublier peu à peu. Il posa son chapeau à côté de lui et, s’appuyant au mur, s’endormit.

C’est ainsi que Donald et Ella le découvrirent, quand ils entrèrent dans le jardin, au crépuscule. Ils s’arrêtèrent tout surpris à sa vue. Ella quitta la main de son mari et, s’avançant, elle se mit à genoux devant le banc.

— Taterley ! dit-elle tout bas en saisissant sa main. Cher Taterley !

Il se réveilla, lui sourit et, caressant sa main, il lui dit, regardant tantôt Ella, tantôt Donald :

— J’étais seul et fatigué à Londres, j’avais envie de vous voir, ne fût-ce que pendant une heure et je suis venu.

— Nous avons bien souvent parlé de vous, Taterley, dit-elle. Nous nous demandions ce que vous faisiez et…