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TATERLEY
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pleins de soleil et qui me rendent joyeuse. J’ai été très heureuse aujourd’hui ajouta-t-elle, pleine de reconnaissance.

— Vous êtes bien bonne de le dire, s’écria-t-il en se levant. Et, plongeant ses mains dans ses poches, il ajouta : « Ça ne vous contrarierait pas que je fume ? »

— Mais pas du tout, je serai très heureuse de vous voir fumer. Laissez-moi, bourrer votre pipe, voulez-vous ?

Il rougit encore et plaça devant elle sa boite à tabac et sa pipe et la contempla avec admiration pendant qu’elle la bourrait de ses jolis petits doigts. Comme elle lui tendait la pipe, ses deux mains brunes se refermèrent impulsivement sur les petits doigts qui la tenaient. Puis, elle prit la pipe, fit flamber une allumette et la lui tint pendant qu’il aspirait vigoureusement la fumée :

— Ça va-t-il bien ? Ai-je été adroite ? demanda-t-elle.

— Admirable ! s’écria-t-il en tirant une bouffée de tabac. C’est tout à fait comme ça qu’on bourre une pipe.

À ce moment on entendit un coup violent frappé sur le panneau de la porte et la silhouette d’un homme apparut sur le seuil. C’était un vieil homme aux yeux perçants et à la figure ridée, les épaules voûtées et les bras croisés derrière le dos. Il fit un léger signe de tête à Donald Brett en guise de salut, en prenant une expression de satisfaction ironique.

— Ne me laissez pas vous déranger, dit-il avec un rire qui ressemblait plutôt à un aboiement. Vous ne me voyez pas souvent, Donald Brett, vous ne m’avez vu que deux fois dans votre vie. Votre mémoire est-elle fidèle ?

— Vous… vous êtes mon oncle, Caleb Fry, je crois, dit Donald tranquillement.

— Ah ! vous avez une bonne mémoire !… Caleb Fry, à votre service. Et il s’avança au milieu de la pièce, le verbe haut, l’allure autoritaire.


CHAPITRE III

Paroles vives. Motifs mesquins. Un philosophe.


Donald Brett et sa jeune visiteuse avaient reculé ensemble et regardaient le vieillard comme fascinés. Il était accoutumé à produire cette impression.

Il regarda autour de lui tout à loisir, il alla même jusqu’à la table à thé, la regarda curieusement avec un sourire ironique sur les lèvres.

— Du thé, de la paresse, des femmes ! s’écria-t-il en les regardant, les lèvres serrées et dures. Vous êtes vraiment le fils de votre père. C’est bien ce que j’attendais, je ne me trompe pas en ces matières.

Ella Tarraut, le visage angoissé, se retournait pour s’en aller, mais Caleb leva la main, fronça le sourcil et l’arrêta :

— Ne partez pas, dit-il, ma visite sera courte, elle est presque terminée. Il y avait longtemps que je n’avais vu mon neveu et je ne le reverrai pas de longtemps.

— Que voulez-vous, monsieur ? Je ne m’attendais pas à vous voir ici et…

— C’est évident, répondit sèchement Caleb Fry. Je suis sensé être votre tuteur, c’est une simple formalité, naturellement, mais je…

— La charge de cette tutelle n’a pas lourdement pesé sur vous, répondit le jeune homme en l’interrompant. J’ai dû me débrouiller tout seul et le peu d’aide que j’ai reçu ne venait pas de votre part.

— Je ne tiens pas à gagner de l’argent pour le voir gaspiller par d’autres dit Caleb durement. Je puis en trouver un meilleur emploi. Vous pensiez vivre entièrement à mes dépens. Ne me répondez pas, monsieur. Qui vous a élevé