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LE DOCTEUR OMÉGA

Le docteur fit trois petites révérences automatiques et, se tournant vers Fred et moi, il nous dit :

— Le moment est venu…

Alea jacta est !… ajoutai-je mentalement.

Et sous les yeux de dix mille spectateurs, nous descendîmes gravement les degrés de l’estrade et nous dirigeâmes vers le Cosmos autour duquel se tenaient des soldats du génie et tous les ingénieurs du Creusot.

À ce moment mon cœur battait à se rompre… je devais être très pâle… car je puis bien l’avouer… j’avais peur…

Le docteur recommanda aux militaires d’enlever doucement les amarres afin de ne pas déranger la position du projectile, puis il fit jouer un ressort et une porte minuscule s’ouvrit au bas du véhicule. Fred entra le premier.

— À vous… monsieur Borel… me dit alors le vieillard.

Un assistant que je connaissais m’avait adressé la parole… Je m’accrochai à lui comme un naufragé à une épave… et prolongeai outre mesure la conversation… afin de retarder le plus possible la fatale minute de l’embarquement… Je ressemblais un peu à l’homme qui a juré de se faire sauter la cervelle à une heure déterminée et qui attend que toutes les horloges de la ville aient sonné avant de mettre son dessein à exécution.

Le docteur répéta :

— Voyons… à vous… monsieur Borel…

Je serrai avec effusion les mains de mon interlocuteur, contemplai une dernière fois la foule qui m’entourait, puis la campagne verdoyante, baignée de soleil, où bourdonnait une vie intense… joyeuse… enchanteresse…

Un moment, j’eus l’idée de m’enfuir, quitte à passer pour un couard… un être pusillanime et lâche, mais je rencontrai l’œil du docteur… cet œil singulier qui m’avait toujours