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retiré des affaires

Les quelques livres que je lui avais données lors de son départ devaient tirer à leur fin !…

Brusquement, de sombres pensées m’envahirent… Le passé d’Édith défila devant mes yeux. Je la revis rôdant dans le Strand, surveillée par Manzana… arpentant le trottoir comme ces « street-walkers » qui m’ont toujours fait horreur… et je me demandai si vraiment je devais aller la retrouver à Paris… Mais, bientôt, j’étais pris de pitié pour elle, au souvenir de ses malheurs et je la plaignais.

N’était-ce pas moi qui l’avais précipitée dans l’abîme ?…

Nous étions deux malheureux que la fatalité avait poursuivis… Si Édith avait de lourdes fautes sur la conscience, avais-je le droit, moi, le numéro trente-trois de Reading Gaol, de lui adresser des reproches ? Elle avait souffert, moi aussi… Le mieux était de tout oublier, car un homme comme moi doit être indulgent envers les autres… Quand on s’appelle Edgar Pipe, on ne peut guère s’instituer redresseur de torts.

Il est vrai que dans la vie ce sont généralement les gens les plus tarés qui posent à la vertu, mais moi, je déteste les faux bonshommes… Ne serait-ce pas ignoble de repousser aujourd’hui, parce que je suis riche, une pauvre fille qui a eu pour moi de l’amour, et qui en a encore — plus qu’avant peut-être, car elle a pu apprécier mon cœur.

D’ailleurs, je lui avais promis de ne pas l’abandonner, et je n’ai qu’une parole…

Tout en roulant ces bonnes pensées dans ma tête, j’étais arrivé à la gare. Je voulus m’informer de l’heure des trains, mais ne sachant pas un mot d’espagnol, je dus recourir à un interprète, un Allemand, qui prononçait l’anglais comme un juif de Russell street.

Il m’apprit qu’il y avait un train pour Madrid à huit heures quinze du soir… mais que l’on n’y acceptait que des voyageurs de première classe.

J’aimais mieux cela, au moins je pourrais me reposer