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retiré des affaires

deurs, nous chassa en nous accablant d’injures. Nous tentâmes de nous réfugier sous la porte d’un dock qui était demeurée entr’ouverte, mais un veilleur de nuit nous reçut comme des chiens errants.

Enfin, grâce à la complaisance d’un employé de chemin de fer, nous trouvâmes un refuge dans un wagon réformé que l’on avait commencé à démolir. Une partie de la toiture en avait été enlevée et il faisait dans cette roulotte un froid sibérien. Manzana et moi nous blottîmes dans la paille et attendîmes ainsi le jour…

Je ne sais à quoi songeait mon compagnon, mais moi, je sais que je fis, cette nuit-là, de bien tristes réflexions.

Lorsque l’on est malheureux, comme je l’étais, le moindre souvenir vous attriste et l’on a envie de pleurer en se rappelant les heures heureuses que l’on a vécues autrefois. Je me revoyais à Ramsgate, tranquille, la poche bien garnie, à la suite d’une opération fructueuse, flirtant avec Édith que j’avais rencontrée au « Royal Oak ». Puis nous partions pour Paris. C’était alors la lune de miel, de longues soirées d’amour devant un bon feu de bois, la vie joyeuse, les rêves sans fin que forment les amoureux… Je me souvenais aussi, avec une émotion délicieuse, de la nuit où je m’étais emparé du Régent et, je me mis à pleurer à chaudes larmes en songeant à ces deux disparus : Édith et le diamant…

Manzana essaya de me consoler, mais je le rembarrai si brutalement qu’il ne dit plus un mot.

Parfois, je l’injuriais sans mesure, puis, le voyant aussi malheureux que moi, je finissais par m’apitoyer sur son compte.

C’était là, je le reconnais, de la pitié bien mal placée, mais on a pu remarquer, au cours de ce récit, que je suis, à certaines heures, d’une sensibilité exagérée.

Quand parut le jour, un jour terne, maussade, mon compagnon et moi nous nous concertâmes. Nous allions rôder aux abords des hôtels ; peut-être aurions-nous la chance d’y rencontrer un de nos voleurs. Nous irions