Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/103

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voir, à travers les éclaircies de fumée, un gros point noir qui s’avance vers nous… Un navire sans doute…

— Et vous, Graffin ? reprit l’Hermite.

— Moi, capitaine, dit l’enseigne en sautant légèrement sur le capot de l’escalier, j’ai tout bonnement aperçu un brûlot que des chaloupes anglaises remorquent vers nous… Rien de plus…

— Un brûlot ! répéta Dalbarade en pâlissant à son tour.

— Oui, monsieur, un brûlot, dit l’Hermite à voix basse… . Graffin ne s’est pas trompé… À présent, que personne ne se doute du terrible danger qui nous menace… Car, vous le savez, messieurs, la vue d’un brûlot suffit pour démoraliser et abattre l’équipage le plus brave… Cette épouvantable et lâche invention est la terreur du matelot… Comprenez-vous combien il est temps pour nous de partir ?

L’Hermite se retournant alors m’aperçut près de lui :

— Monsieur Garneray, me dit-il en appuyant avec une certaine affectation sur le mot de monsieur, je compte également sur votre discrétion…

Je m’inclinai profondément, mais, hélas ! cette recommandation de l’Hermite était superflue ; presque au même moment la voix émue d’un gabier annonçait l’apparition du vaisseau incendiaire, et jetait à bord de la frégate l’épouvante et le découragement.

— Ce n’est rien, enfants, s’écrie l’Hermite d’un ton d’indifférence admirablement joué et en s’élançant parmi l’équipage, c’est tout bonnement un de nos ennemis qui a pris feu et qu’on remorque au large.

Cet indispensable mensonge du capitaine ramena un peu de confiance sur la frégate, et permit pendant un moment de pousser avec vigueur les travaux nécessaires à notre fuite ;