Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/137

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contenir son dépit devant une victoire qui lui échappe : efforts inutiles ! Le Jupiter nous a déjà gagnés de l’avant d’une demi-portée de dix-huit ! Monsieur Fabre, faites arriver vent arrière et lâchez-lui notre bordée d’adieu !… Qui sait si le ciel, qui nous a si fort protégés jusqu’à présent, ne permettra pas que nous le démâtions avec notre dernier boulet ?..

L’exécution de cet ordre ne se fait pas attendre, mais la précipitation avec laquelle il est exécuté en empêche tout l’effet ; le Jupiter continue de fuir.

— Ah ! le lâche ! s’écrie l’Hermite, qui, les narines gonflées par la colère et les yeux flamboyants, suit d’un regard désespéré le vaisseau qui nous gagne de plus en plus de vitesse ; ah ! le lâche ! Ce capitaine mériterait d’être dégradé honteusement !… Quoi ! il commande à un vaisseau, à un équipage nombreux, tout frais, qui n’a été décimé, comme nous à Lagoa, par aucune rencontre antérieure à celle-ci, et il fuit… et il fuit devant une frégate délabrée, devant une poignée d’hommes… le lâche !

Mais quelques secondes suffisent pour rendre l’Hermite au sentiment de la raison et à celui des convenances.

— J’ai eu tort de m’exprimer ainsi que je viens de le faire sur le compte d’un officier supérieur de marine. Messieurs, reprend-il en s’adressant à ses officiers, oubliez, je vous en prie, mes paroles, ou ne les attribuez qu’à mon dépit… Le Jupiter s’est bravement conduit ! Qui pourrait prétendre le contraire ?.. Si, contre toutes les probabilités, il a été vaincu, la cause en est au hasard des combats…

— Hum, commandant, je vous demande pardon, s’il a été vaincu c’est qu’il avait affaire à vous, s’écrie Graffin, qui, les cheveux encore en désordre, les yeux encore animés par le feu du combat, et le sourire sur les lèvres,