Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Croyez que j’ai été obligé de me raisonner moi-même plus énergiquement que vous ne pourriez le faire, avant de me résoudre à renoncer à ce projet. Réfléchissez cependant un peu sur les suites probables de cette poursuite. Pour la gloire, qui rejaillirait sur moi tout seul, d’avoir donné pendant quelques heures la chasse à un vaisseau de 64, j’expose la frégate à être démâtée. Un malheureux boulet, rien qu’un seul, qui nous abattrait un mât, messieurs, suffirait pour nous ravir la victoire que nous venons de payer si cher… Cette idée me fait peur.

Ces explications bienveillantes que l’Hermite, connaissant l’attachement qu’ils lui portaient, voulait bien donner à ses officiers, firent revenir tout de suite ceux-ci de leur mauvaise humeur, et, se répandant dans l’équipage, ne tardèrent pas, l’excitation du combat s’étant un peu calmée, à être également appréciées des matelots.

L’Hermite, après avoir pourvu aux plus urgents besoins du navire, désirant connaître le nombre des victimes que lui coûtait le combat avec le Jupiter, ordonna l’appel général.

Je ne puis exprimer l’émotion poignante qui se peignait sur son visage lorsque les hommes qu’il affectionnait ou qu’il estimait particulièrement ne répondaient pas à leur nom. Du reste, domptant sa douleur le plus longtemps possible, il subit cette rude épreuve à plus de moitié ; enfin n’en pouvant plus et ne voulant pas laisser deviner sa noble faiblesse, dont tout le monde s’était aperçu sans qu’il s’en doutât, il se retira dans sa cabine en affectant une indifférence bien loin de son cœur… Je parierais, sans crainte de perdre, qu’une fois seul, cet homme qui levait le front si haut devant les hasards des combats et qui, mettant la gloire de la France avant tout, savait le moment opportun venu, sacrifier impitoyablement le