Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/156

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Le désespoir, et pour être plus exact le sombre abattement qui s’était emparé de l’équipage à l’apparition des deux vaisseaux, commence à se dissiper ; déjà nous laissons en poupe la majeure partie des eaux qui séparent le Coin de Mire du port Maurice ; naviguant par huit brasses sur une mer d’émeraude, et serrant le vent autant que possible sous les risées odorantes qui découlent des agrestes collines que nous côtoyons, et dont la physionomie pittoresque et mobile change à chaque instant d’aspect, nous sentons, en respirant ces pénétrants parfums, l’espoir nous revenir au cœur ; nous nous croyons presque déjà à terre. Cela ne nous empêche pas toutefois de rivaliser avec nos chasseurs à qui portera, d’eux ou de nous, le plus de toile.

Bientôt nous voyons à découvert les redoutables forts de l’île aux Tonneliers, qui protègent la rade, et nous sommes au milieu de la baie du Tombeau, chantée par Bernardin de Saint-Pierre, quand tout à coup la brise, jusque-là vive et régulière, s’éteint complètement.

Ce contretemps répand de nouveau la consternation parmi nos hommes. Chacun se désespère en voyant la frégate si près de terre, livrée aux chances périlleuses d’un calme plat. Pendant la durée du flot, qu’allons-nous devenir ? Telle est la question que chacun se pose avec anxiété, sans pouvoir la résoudre. Cependant on espère que le vent reprendra vigueur, mais on l’espère faiblement ; nous avons été déjà si rudement traités par la fatalité, que nous n’osons plus compter sur aucune bonne chance. Et dire que si nous avions eu une heure de plus de vent, nous étions sauvés !…

Hormis les huniers, toutes les voiles sont suspendues à leur cargue ; les hommes placés à la manœuvre attendent, dans un morne silence, que la brise s’élève d’un