Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/166

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pourtour de la baie est recouvert par la population entière de l’île de France, que des milliers d’yeux épient leur contenance, comptent leurs coups, contemplent leurs prouesses. La rage, la vengeance et l’amour-propre sont en jeu. On se fera tuer jusqu’au dernier ; on ne se rendra jamais.

Au reste, notre position est loin d’être désespérée. Maintenant que la Preneuse est immobile sur sa quille et sur ses appuis, à portée de recevoir des secours de toute espèce, elle peut soutenir dignement le feu des quatre-vingts canons de gros calibre qui vomissent sans relâche sur elle la flamme et le fer. Et puis, l’Hermite, avant de commencer le combat, nous a prévenus que tant qu’une des vingt-trois pièces de 18 qui arment notre frégate-citadelle pourra faire feu nous n’abaisserons pas nos couleurs nationales : il faut donc, pour nous vaincre, que l’ennemi nous démolisse sur place.

Depuis deux heures que dure la canonnade, nos hommes sont admirables de zèle et d’ardeur : aveuglés par la fumée, accablés par une chaleur brûlante, ils ont jeté bas leurs vêtements, et ressemblent à des démons dansant dans une fournaise. La plupart, en glissant sur les cadavres de leurs camarades gisant dans la batterie, se sont relevés couverts de sang : c’est affreusement beau à voir.

Que cette fois la fatalité reste neutre, et nous sommes définitivement vainqueurs, car notre tir, dirigé avec une rare adresse, a déjà depuis deux heures causé les plus grands ravages à l’ennemi. Par moments même le feu des Anglais s’arrête pendant quelques secondes ; les vaisseaux doivent se consulter entre eux pour savoir s’ils continueront un combat dont les conséquences peuvent être si désastreuses pour eux en cas d’insuccès, et leur donner un si mince avantage en cas de réussite.