Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/174

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moi donc la grâce d’incendier la frégate, d’amener le pavillon et de m’abandonner aux soins des Anglais, qui ne peuvent tarder à vous amariner. Vous ne pouvez plus rien pour moi, messieurs… sauvez-vous, je vous en conjure !

Nous croyons inutile d’ajouter que cette dernière recommandation de l’Hermite ne pouvait influer et n’influa en rien sur la généreuse détermination prise par ses officiers ; pas un d’eux ne songea à le quitter, seulement on amena le pavillon.

Depuis la mort de Graffin, le feu des Anglais avait cessé ; peut-être fut-il frappé par leur dernier coup de canon.

À peine quelques minutes s’étaient-elles écoulées, que j’aperçus un groupe d’embarcations anglaises qui se dirigeaient à force de rames vers nous ; je m’empressai de me jeter au milieu de quelques matelots qui étaient tombés frappés à mort à la même place.

Le spectacle que présentait la frégate était alors aussi triste que terrible. Les bastingages étaient presque rasés ; le pont, labouré par les boulets, était jonché de cadavres affreusement défigurés, de débris humains ensanglantés ; enfin, au pied du banc de quart, M. Rivière, à genoux, aidé de l’enseigne Fabre, du lieutenant Dalbarade et de l’aspirant Viellard, soutenait le capitaine dans ses bras, tandis que le médecin de la frégate lui prodiguait ses soins ; à côté de l’Hermite, et la tête inclinée, comme s’il dormait d’un paisible sommeil, reposait le cadavre de Graffin !

Tel était le sublime et lugubre tableau qui apparut aux Anglais quand leur lève-rame m’annonça qu’ils venaient amariner la Preneuse.

Au moment même où les ennemis mirent le pied sur la frégate, l’Hermite ouvrit les yeux, et, puissance irrésistible d’une âme fortement trempée, parvint, malgré sa faiblesse, à se dresser debout.