Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/228

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embaumées de la lagune, lorsque, tout à coup, je fus tiré par la subite immobilité de l’embarcation, de la douce torpeur dans laquelle m’avait plongé son balancement cadencé.

— Eh bien ! pourquoi n’avançons-nous plus ? demandai-je à l’interprète.

— Avancer, seigneurie ! y songez-vous ? Seriez-vous donc assez téméraire pour oser songer à entraver la justice de notre belle souveraine ?

— Quelle justice ? explique-toi !

— Ne voyez-vous pas, seigneurie, reprit le Portugais en étendant son doigt devant lui, cette lumière isolée et tremblante dont les rayons se reflètent dans l’eau et qui semble sortir du sein de la lagune ?

— Parfaitement. Eh bien, après ?

— Eh bien, tant que cette lumière éclairera les ténèbres, nous devrons rester ici, immobiles ; car cela signifie que la justice de notre reine n’est pas encore accomplie.

— Expliquez-vous plus clairement.

— Volontiers, seigneurie, mais j’ai bien soif.

Je tendis, pour toute réponse, une bouteille d’arack entamée au Portugais, qui, soit dit en passant, ne laissait pas échapper une occasion favorable pour obtenir de moi quelques gorgées de sa bien-aimée boisson ; et j’attendis avec impatience qu’il l’eût entièrement vidée, pour savoir quelle était cette lumière qui, semblable à une digue infranchissable, s’interposait entre l’espace et nous.

— Cette lumière, seigneurie, reprit-il en me rendant ma bouteille vide, est produite par un pot de résine enflammée placé sur la tête d’un condamné à mort… N’entendez-vous pas comme un murmure faible et confus s’élever sur le lac ? C’est la foule qui attend en silence l’arrivée des caïmans.