Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/280

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d’enivrement qui s’était emparé de notre équipage à la vue des prodigieuses richesses que nous venions de conquérir. Chaque homme supputait, selon son ambition et selon ses désirs, la part qui lui revenait, et tous, les plus ambitieux comme les plus modestes, trouvaient que leurs calculs atteignaient à une limite qui ne leur laissait rien de plus à désirer. Notre second, le Normand Duverger, ne pouvait surtout contenir sa joie. Ses lèvres minces étaient continuellement entrouvertes par un sourire perpétuel qui lui donnait presque l’air bonhomme ; armé d’un crayon et d’un carnet, il alignait, pendant toute la journée, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, colonnes de chiffres sur colonnes, et lorsque la nuit le surprenait dans cette douce occupation, il semblait sortir d’un rêve : le jour ne lui avait pas semblé durer plus d’un quart d’heure.

Un homme, cependant, qui éprouvait de notre capture une joie plus vive encore que celle du Normand, était notre brave capitaine ; non pas qu’il fût cupide, loin de là ; mais il voyait dans notre prodigieux et éclatant succès la fin de cette fatalité tenace qui jusqu’alors avait si lourdement pesé sur lui. Son bonheur était même si profond, que, par moments, il se refusait à y croire. « Il est impossible que cela se passe ainsi, disait-il, vous verrez qu’il nous arrivera quelque malheur inattendu. »

Comme la mer était belle, les vents favorables et nos cœurs ivres de joie, nous n’attachions aucune importance à ces tristes prophéties, nous nous figurions dans notre joyeux délire que le monde entier nous appartenait. Hélas ! un horrible et épouvantable coup de tonnerre devait bientôt nous arracher à nos beaux songes.

Le cinquième jour qui suivit notre triomphe éclairait à