Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/325

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de ma longue-vue que j’y avais laissée et la tenait braquée sur le canot. Je l’interroge du regard : “ Ils ne sont plus que quatre, me répond-il d’une voix émue ; mais le lieutenant se tient toujours à la barre !”

« Enfin la nuit arriva. Le soleil avait disparu cette fois au milieu de vapeurs moins éclatantes que celles qui, les autres soirs, illuminaient l’horizon. Mais cet indice de la brise est si vague, si peu certain, nous y avions déjà été trompés si souvent, que je n’osais plus y croire.

« Toutefois j’ordonnai qu’un large fanal fût hissé à la pomme du grand mât. La lumière bientôt se répand, immobile comme le navire qu’elle éclaire, et laisse tomber sur le pont une lueur sinistre et qui reste attachée aux mêmes objets. Le calme épouvantable de cette scène de mort n’est interrompu, de temps à autre, que par des clameurs délirantes, auxquelles succède presque aussitôt un lugubre silence.

« Ce silence à son tour dura peu. De nouveaux cris sont poussés par les malheureux matelots de l’embarcation. La nuit prêtant une grande sonorité à la mer et à l’air, nous distinguions à bord du Bato jusqu’aux moindres soupirs que poussent les canotiers en expirant sous les coups effrénés qu’ils se portent dans leur rage insensée. Jugez, capitaine ce que je devais souffrir !

« Toutefois, une douleur plus grande m’était réservée. Ce fut le silence complet qui succéda enfin à tous ces râles et à toutes ces clameurs, et qui, cette fois, dura tout le reste de la nuit.