Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/327

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je ne puis plus retrouver le canot !… Ce matin seulement, un peu avant que vous m’abordiez, le hasard, qui semble avoir voulu dans ce drame lugubre ne m’épargner aucune douleur, m’a conduit juste en face de l’embarcation. Quel affreux spectacle ! Autour régnait le silence ; aucun des canotiers ne se montrait à bord, le canot était rempli d’eau !

« – Qui sait, capitaine, si accablés de faim et de fatigue, ils ne se sont pas couchés sur les bancs ! me dit un matelot en voyant mon désespoir.

« Quelque illusoire que fût cette espérance, je m’y cramponnai avec toute l’énergie de ma douleur !

« Le navire approche encore ! Ah ! mon Dieu ! de larges taches de sang couvrent le plat-bord et les bancs du canot autour duquel rôdent encore d’énormes requins ! »

Le malheureux capitaine du Bato, en prononçant ces dernières paroles, tomba en proie à des spasmes nerveux, et nous eûmes beaucoup de peine à lui faire reprendre connaissance.

Son récit nous avait tous profondément émus. Surcouf ne trouvant aucune consolation capable de soulager une douleur pareille à celle de ce malheureux père, se contenta d’envoyer en quantité à bord du Bato des provisions et des médicaments ; puis, serrant une dernière fois la main du capitaine hollandais, qui le remerciait au nom de son équipage, il se sépara de lui sans prononcer un mot.

L’impression profonde que nous avait causée ce récit dura peu. On parla quelque temps encore du Bato, mais la nuit venue, personne n’y pensa plus. Notre croisière, jusqu’alors favorisée par un temps magnifique, ne nous avait encore donné aucun résultat. Poussés par un vent propice, les premières terres que nous aperçûmes furent