Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/340

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aussi, dit-on, que la Sibylle doit être rappelée sous peu. Mais ceci, je vous le répète, n’est qu’un on-dit, tandis que votre nomination peut être considérée comme une chose officielle.

Cette réponse, transmise par l’interprète avec un imperturbable sang-froid et un ton de conviction parfaitement joué, dénotait de la part de Surcouf une profonde connaissance du cœur humain. En effet, le capitaine de la Sibylle, ébloui par l’annonce de la bonne fortune qui lui arrivait, commença, on put facilement le remarquer à l’expression de son visage, à abandonner ses premiers soupçons. Toutefois, l’habitude du devoir l’emporte encore un instant en lui, et il reprend son interrogatoire :

— Mais pourquoi n’avez-vous pas répondu plus tôt à mes signaux ? hèle-t-il de nouveau.

— D’abord, capitaine, parce que les signaux ont été changés ; ensuite parce que le livre de tactique et les pavillons ont été en partie détruits dans le combat que nous avons eu à soutenir.

— Ah ! quel combat avez-vous donc eu à soutenir ?

— Un terrible s’il en fut jamais, contre un corsaire bordelais que nous avons enlevé à l’abordage sur la côte de Gascogne. Je me suis même permis, capitaine, en vous envoyant les paquets que l’on m’a remis pour vous, d’y joindre deux caisses de bouteilles de cognac provenant d’un second corsaire français qui, après un nouveau et épouvantable combat, est tombé en notre puissance.

— Ah ! très bien, dit le vieux capitaine de la Sibylle, qui, en songeant sans doute au mal que nous avons causé aux Français, et peut-être bien aussi au cognac qu’il va recevoir, sourit agréablement à notre interprète.

Toutefois, le vieux marin est tellement familiarisé avec les devoirs de sa profession qu’il ne peut s’empêcher de s’écrier avec un reste de défiance :