Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que présente un combat naval : c'est un tableau qu'un pinceau seul peut retracer, qu'une plume ne saurait rendre. Aux premières décharges, Kernau, qui était revenu à son poste près de moi, me regarda en souriant.

— Eh bien ! mon vieux, me dit-il, on va donc rire un peu !

J'avoue que l'émotion que je ressentis en entendant le sifflement aigu du premier boulet qui passa près de moi fut assez vive. Toutefois je n'en laissai rien paraître. Je me figurais, en me rappelant les paroles de mon cousin, que tous les yeux de l'équipage étaient fixés sur moi, et j'étais fermement résolu à faire bonne contenance. Cependant je ne pus m'empêcher de tressaillir en entendant retentir au-­dessus de ma tête une espèce de hurlement sinistre et indéfinissable que je ne pus m'expliquer.

— Qu'est-ce que cela ? demandai-je à Kernau en ayant soin de bien affermir ma voix avant de lui adresser la parole.

— C'est le gazouillement d'un boulet ramé, vieux, me répondit-il. Est-ce que ça te vexe, ce concert ?

— Loin de là ; seulement j'aime à savoir le nom des instruments qui composent l'orchestre, voilà tout.

Une impression pénible que j'eus à subir peu après fut de voir tomber un matelot, qu'un éclat de bois atteignit à la tête. Cet homme était la première créature humaine qui mourait sous mes yeux de mort violente. Le combat, commencé à dix heures du matin, durait encore à une heure de l'après-midi, avec la même violence, lorsqu'un boulet de canon coupa la drisse qui maintenait le pavillon à la corne.

— En haut passer une drisse ! me dit M. Bichier, le chef des signaux.

Cet ordre résonna d'une façon d'autant plus désagréable