Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/67

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au grand prix de Rome n’a dû éprouver un sentiment de crainte et d’anxiété semblable à celui que je ressentis alors. L’idée que si ma toile n’était pas jugée convenable il me faudrait renoncer au dessin, m’épouvantait et m’excitait tout à la fois ; je me mis à la besogne avec enthousiasme.

Huit jours plus tard j’avais achevé ma composition. L’heure solennelle du jugement allait sonner pour moi ! Jamais je n’ai été plus ému de ma vie, je le crois, que quand ayant livré mon dessin au maître voilier, je vis ce dernier réunir les matelots sur le gaillard d’avant pour les consulter.

Je suivais, avec un douloureux battement de cœur qui m’étouffait, ma toile passant de main en main, et j’essayais de lire dans les traits de ceux qui l’examinaient l’impres­sion qu’elle produisait sur eux. Un froncement de sourcils, une chique mâchée trop vivement, un geste d’épaule, me faisait passer des frissons de peur dans le corps ; tandis qu’un sourire ou un hochement de tête approbateur me transportait de joie.

Enfin, le maître voilier ayant réuni toutes les opinions s’avança vers moi d’un air solennel et imposant. Je sentais mes genoux fléchir ; cependant je parvins à conserver une contenance convenable.

— Matelot, me dit-il, ton dessin pourrait être mieux ; mais là, franchement parlant, on en a vu de plus mal. Je veux te faire le plaisir de le garder pour moi ; je le donnerai, en revenant en France, à ma femme, pour qu’elle le sus­pende à côté d’une Geneviève de Brabant joliment bien colorée, qu’elle possède déjà. Quant à toi, tu as gagné un autre morceau de toile ; le voici.

Cette décision me causa un de ces vifs plaisirs, comme on peut seulement en éprouver quand on est jeune et ardent ainsi que je l’étais alors.