Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/72

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— Tiens, c’tte bêtise, parce que s’il me fallait m’asseoir à côté du capitaine, déplier ma serviette et me l’attacher au cou, cracher en mettant ma main de côté près de ma bouche, retourner ma chique en douceur, enfin avoir ce qu’on appelle de belles manières, j’aurais tellement peur d’oublier quelque chose de la civilité, que je serais capable d’étouffer net ! T’as pas peur, toi ?

— Mais non, pas le moins du monde.

— Cré mâtin, il faut que tu aies tout de même un fier toupet !

L’heure du dîner arrivée, je m’arrangeai du mieux que je pus ; et je fus chez le capitaine, que je trouvai, l’usage s’opposant à ce qu’il fit dîner un officier avec un simple matelot, seul à table.

Il me traita, non pas comme si j’eusse été un homme de son bord, mais comme le cousin de son collègue Beaulieu-Leloup, c’est-à-dire qu’il fut pour moi d’une amabilité et d’une bonté parfaites. Il me reprocha bien un peu, avec un tact exquis, les dégradations que j’avais commises, mais il tempéra ces reproches par l’offre qu’il me fit, et que j’acceptai avec des larmes de reconnaissance dans les yeux, de me fournir tout le papier et les crayons à dessin dont je pourrais avoir besoin. « Qui sait, me dit-il en terminant, si les heureuses et précoces dispositions que vous montrez aujourd’hui pour la peinture ne vous seront pas un jour d’une grande utilité ? » Cette prophétie s’est, en effet, réa­lisée de la manière la plus complète.

Le lendemain, et je consigne ce fait insignifiant pour montrer que la bonté de M. de la Souchais s’étendait pour moi jusqu’à la minutie, l’embargo qui pesait à la cambuse sur mon vin fut levé, et je rentrai en possession de ma ration journalière.

Quant au lieutenant Shild, il perdit depuis lors vis-à-