Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/75

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de nos alliés… Hier, voiliers admirables… Aujourd’hui, vraies tortues et semblables à des galiotes hollandaises… Que l’on pointe aux mâts, monsieur Frélot ; retenez bien cet ordre.

Le feu durait avec vivacité de notre part, mais sans produire aucun résultat apparent, lorsqu’un événement, auquel nous étions loin de nous attendre, vint, sinon nous jeter dans le découragement, au moins affaiblir beaucoup nos espérances : les vaisseaux espagnols nous apprennent par leurs signaux qu’ils ont éprouvé des avaries.

Cet événement, aussi imprévu qu’inexplicable, car rien ne pouvait motiver ou donner à deviner comment tout à coup, et par une belle mer, les magnifiques bâtiments de nos alliés se trouvaient subitement réduits à l’impuissance, fut accueilli de M. Bruneau de la Souchais par un froncement de sourcils et un haussement d’épaules très significatifs, qu’il ne daigna pas même dissimuler. Il se contenta seulement d’ordonner que l’on activât le feu.

Peu après, le vaisseau amiral espagnol nous adressait, par signaux sur signaux, l’ordre de cesser le combat et de nous rallier à sa division.

— Que le diable m’emporte ! s’écria notre brave capitaine en accompagnant ces paroles d’un énergique juron tout à fait en désaccord avec ses habitudes et ses manières ; que le diable m’emporte si j’obéis ! Monsieur Frélot, faites force de voiles et tâchons de rejoindre l’ennemi. Nous verrons bien si les Espagnols oseront fuir honteusement, en nous laissant au pouvoir des Anglais… Après tout, pourquoi pas ? Qu’importe ! nous succomberons du moins avec gloire et nous sauverons l’honneur de la France et celui de notre pavillon.

— Pauvre l’Hermite, ajouta peu après le capitaine d’un air mélancolique, comme il doit aussi souffrir de notre humiliation.