Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un vaisseau de la compagnie des Indes, une corvette à trois mâts et le fortin anglais juché sur la crête d’une montagne et dont les boulets, dirigés naturellement avec plus de certitude que ceux des navires, venaient à chaque instant ébranler la coque de la frégate.

Ce spectacle était certes de nature à décourager les plus intrépides, mais la vue de l’Hermite, sublime effet de la puissance morale, debout sur son banc de quart chassait du cœur de chacun la crainte et la faiblesse pour n y laisser que l’enthousiasme et l’espérance.

— Notre position est mauvaise, cela est incontestable, monsieur Dalbarade, dit tranquillement l’Hermite en s’adressant à son lieutenant en pied. Dieu sait que s’il eût dépendu de moi de l’éviter, aucun sacrifice et aucun effort ne m’eussent coûté pour y parvenir… mais j’ai été et je suis forcé de la subir ! Toutefois un espoir, fondé sur de légers changements de brise que j’ai remarqués, me reste encore, celui de réussir à placer la frégate au vent de ses plus formidables adversaires, puis alors de couper les câbles, afin de laisser dériver sur eux et de nous emparer à l’abordage de celui qui nous cause le plus de mal… mais, hélas ! jusqu’à présent ces risées ont été de bien courte durée, et la fraîcheur, reprenant aussitôt sa direction habituelle, a toujours déjoué mes calculs. Enfin nous verrons !

Cette conversation, que je pus saisir malgré le bruit du canon, car mon poste de timonier me retenait sur la dunette, me donna singulièrement à réfléchir sur notre position.

Il était près de minuit, et le feu continuait toujours avec une ardeur qui, loin de se calmer, semblait au contraire s’accroître, quand un petit épisode, auquel nous n’osions pas nous attendre, vint renforcer encore notre ardeur et