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Page:Garnier - Les tragedies de Robert Garnier - 1605.djvu/186

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M. ANTOINE.

Et me liures, mal ſage, à mes fiers ennemis,
Qui bien toſt puniront ton pariure commis.
Tu as rendu Teluſe, abord à ceſte terre,
Rendu tous mes vaiſſeaux mes hommes de guerre,
Si que ie n’ay plus rien, tant ie fuis delaißé,
Que ces armes icy, que ie porte endoße :
Tu les deuſſes auoir pour deſpouillé me rendre
En la main de Ceſar ſans me pouuoir defendre.
Car tant qu’elles ſeront en ma main, que Cefar
Ne me penſe mener triomfé dans vn char :
Non, que Cefar ne penſe orner de moy fa gloire
Et deſſus may viuant exercer ſa victoire.
Toy feule, Cleopatre, as triomphe de moy,
Toy feule as ma franchiſe aſſerui fous ta loy,
Toy feule m’as vaincu, m’as domté, non de force,
(On ne me force point) mais par la douce amorce
Des graces de tes yeux, qui gaignerent ſi bien
Deſſus ma liberté qu’il ne m’en reſta rien.
Nul autre deſormais, que tey, ma chere Roine,
Ne ſe glorifiera de commander Antoine.
Ait Ceſar la fortune, tous les Dieux amis,
Tuy ayent Iupiter, & les destins promis
le ſceptre de la terre il n’aura la puiſſance
De ſoumettre ma vie à ſon obeiſſance.
Mais apres que la mort mon courageux recours
Demon inſtable vie aura borné le cours,
Et que mon Corps glacé ſous vne froide lame,
Dans le ſein d’vn tombeau ſera veuf de ſon ame :
Alors tant qu’il voudra l’aſſuietiſſe à ſoy,
Alors ce qu’il voudra Ceſar face de moy,
Me face demembrer pièce à piece, me face
Inhumer dans les flancs d’vne Louue de Thrace.
O miſerable Antoine ! hé que te fut le iour,
Le jour malencontreux que te gaigna l’Amour !