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six semaines dans un phare.

guidée par le commandant Noury de la Roncière, passait entre l’embouchure de l’Alma et la mer, sur une langue de sable formée par la rivière même. Deux de nos frégates s’avancent dans la petite anse qui règne à cette embouchure, afin de prévenir toute tentative de l’aile gauche des Russes.

Là, se bornait notre concours pendant la redoutable ascension des hauteurs de l’Alma.

Les premiers bataillons de la division Bosquet ont franchi la rivière. En vain les tirailleurs russes embusqués dans les vignes, derrière les arbres, les murs ou les plis favorables du terrain, veulent s’opposer à son passage. L’avant-garde grimpe résolûment les sentiers les plus ardus et ses petits groupes isolés escaladent les flancs rocheux de la falaise. Tous les yeux sont tournés vers ces enfants perdus qu’entraîne un indicible élan.

Nos bâtiments tirent sans relâche leurs bordées et les Russes, tenus en respect par la longue portée de nos canons et se refusant sans doute à croire à tant d’audace, laissent cette ascension s’accomplir sans résistance aucune.

Il est à peu près midi. Les bonnets rouges de nos zouaves paraissent tout à coup sur les sommets des falaises et se déploient en tirailleurs. La fusillade s’ouvre. La bataille s’engage.

Nous dominions tout le champ de bataille, et nous pûmes voir distinctement les Russes se former en masses compactes, et leur artillerie accourir au galop de ses chevaux pour refouler nos bataillons qui déjà ont pris pied sur le plateau. De tous côtés l’armée alliée s’avance, couvrant de soldats cette plaine tout à l’heure encore déserte et silencieuse.

C’est sur l’extrémité des hauteurs que vient d’occuper le général Bosquet que le danger est le plus grand. Comme cela se passe pour ainsi dire sous nos yeux, nous tremblons que nos soldats, assaillis par un ennemi bien supérieur en nombre, foudroyés par son artillerie ou chargés par sa cavalerie, ne soient