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six semaines dans un phare.

lendemain ce qu’il avait gagné la veille. C’était le Juif-Errant de la mer. Seulement il avait dans sa poche autre chose que cinq sous.

Quand il rencontrait des compatriotes, il se gardait bien de parler de la France. Du reste il était cosmopolite, et il avait fini par oublier sa nationalité et même son nom. Ce n’était plus que le père Vent-Debout.

Mais en lisant ces lignes du journal, Vent-Debout disparut pour reprendre le nom de Valgenceuse. Il se sentit même soulagé en apprenant qu’il avait des devoirs à remplir, une veuve à consoler, un neveu à élever, et en songeant surtout que, sur le déclin de sa vie, Dieu lui donnait le moyen de racheter, tout un passé d’indifférence et d’égoïsme.

Il se leva, prit le journal et se rendit à bord.

— Clinfoc, cria-t-il.

— Capitaine, répondit une voix.

— Écoute ! Et Vent-Debout lut l’article.

— Nous allons en France. Fini de naviguer. Il faut trouver mon neveu et sa mère.

— Vous aviez donc un frère, vous ? c’est du joli.

Et le marin tourna le dos en grognant.

Ce Clinfoc, que nous retrouvons à Saint-Georges avec le capitaine, était un vieux dur à cuire. Depuis trente ans, il n’avait pas quitté le père Vent-Debout. Au physique, il était aussi laid que son maître. Au moral, il était aussi bon. Seulement il grognait toujours.

La façon dont ces deux hommes s’étaient connus mérité d’être rapportée.

Un jour le père Vent-Debout eut à bord une violente discussion avec un jeune officier, fruit sec de l’école navale qui, comme son capitaine, s’était lancé dans la marine marchande. Vent-Debout détestait tout ce qui lui rappelait l’école. Celui-ci