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la tour de cordouan.

maître voulut le consoler avec les réflexions précédentes, il se mit en colère.

— C’est honteux, capitaine, d’avoir ces idées-là sur votre vieux Clinfoc, dit-il. Et il retourna tellement le père Vent-Debout que celui-ci n’eut pas de cesse qu’il n’eût retrouvé sa belle-sœur et son neveu.

Il les retrouva dans la maison paternelle, cette même maison où il avait laissé son jeune frère entre deux vieillards et d’où il était parti le cœur brisé. La maison était toujours la même, sombre et froide dans une des rues les plus retirées de Royan. L’intérieur seul avait changé. La main d’une femme y avait passé. C’était jeune et coquet. L’appartement des vieux parents morts depuis tant d’années n’avait subi aucune modification. Les anciens meubles avaient été respectés. Le souvenir en était l’hôte. C’était le passé à côté du présent.

Cette maison représentait toute la fortune des Valgenceuse et encore était-elle hypothéquée pour une forte somme. La veuve se trouvait dans une gêne à laquelle les économies ne pouvaient plus remédier et qu’un faible secours du ministère de la marine n’avait pu atténuer. La misère était imminente, cette misère honteuse bien plus terrible que les misères tarifées par la charité publique, ou inscrites aux bureaux de bienfaisance. Heureusement que la Providence veillait sur la veuve et l’orphelin. Un matin du mois de février 1848, elle frappait à la porte des Valgenceuse. Une vieille bonne vint ouvrir. Clinfoc entra, c’était le messager de cette Providence.

— Madame Paul de Valgenceuse, demanda-t-il.

— C’est ici, monsieur, lui fut-il répondu, mais la bonne dame est bien malade et ne reçoit personne. Si c’est quelque chose qu’on puisse lui dire ?

Clinfoc se retourna vers le capitaine qui était resté dans la rue et n’osait franchir le seuil de la maison qui l’avait vu naître.