Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
six semaines dans un phare.

Quel intrus s’était permis de profiter d’une matinée que lui, Clinfoc, n’avait pas voulu employer pour ne pas réveiller le malade ?

Il rageait en dedans, mais n’osait rien dire, ne sachant sur qui passer sa colère, quand le Breton lui dit avec une pointe de raillerie :

— Ça vous fâche ?…

Paul et son oncle éclatèrent de rire. Clinfoc se retourna, mit les mains dans ses poches — jusqu’au coude — et dédaigneusement laissa tomber ces mots :

— Y a pas de quoi rire !… Ce paroissien-là me fera avaler ma gaffe dix ans trop tôt ! Et puis, quoi, je n’aime pas les Bretons !

— Faudrait voir à savoir pourquoi ?

— Il y a peut-être une histoire là dedans, dit Paul. Le plus curieux serait d’entendre Clinfoc la raconter.

— Ce n’est pas l’heure de dormir, répliqua aigrement le capitaine.

— Tiens-tu à savoir le pourquoi de la chose, Breton ?

— Si ça ne vous déplaît pas, matelot.

— Eh bien ? — Et le vieux Clinfoc enfonça davantage les mains dans ses poches, ce qui lui fit renflouer les épaules, position qu’il prenait toujours pour toiser avec mépris ses adversaires et même tous ceux qu’il « avait dans le nez ». — Eh bien ! voilà. Tes côtes de Bretagne, ce ne sont que des nids de brigands. Et pour qui a vu ces côtes, ça n’a rien d’étonnant, sinueuses, décharnées, creusées par les embouchures des fleuves, elles sont défendues par un tas de rochers noirs comme la bouche du diable, aux pieds desquels sont des sables mouvants qui vous engloutissent comme un requin avale le harpon.

— C’est la faute du bon Dieu, ce n’est pas la nôtre.

— Avec ça que vous n’en profitiez pas !… dans le temps, car