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antenolle.

requin s’était introduit pendant le flux de la marée parmi les racines crochues des mangliers qui bordent la côte, et n’ayant pu se dégager à temps pour regagner le large, s’était échoué sur le sable. Vous comprenez comme les tigres de la forêt s’étaient empressés de se donner rendez-vous autour de cette table, ouverte à leur appétit féroce !

Bien entendu que le capitaine ne retrouva personne pour retourner faire du bois, et il fut obligé d’en acheter. Le lendemain, nous mîmes à la voile. Deux jours après nous étions en vue de Zanzibar. J’avais repris mon service, seulement, le mal de mer continuant à me taquiner chaque fois que je me penchais en dehors des bastingages, Tombaleau me criait : « Gare aux tigres ! » et cela suffisait pour me calmer un instant.

Le soir même où nous aperçûmes Zanzibar, le ciel se couvrit à l’horizon de nuages d’un brun violet et les montagnes se cachèrent sous des masses de vapeurs jaunâtres d’un mauvais augure.

En effet, à peine fit-il nuit que des éclairs éblouissants jaillirent des nuages, qui peu à peu avaient envahi le ciel. La lune était rouge comme du sang. Le tonnerre vibrait partout. Les foudres tombaient en sifflant dans la mer écumante et les feux de Saint-Elme dansaient sur les cordages, sur les vergues et en haut des mâts. Bientôt la mâture, les agrès, le gaillard d’avant furent illuminés de flammes fantastiques qui, activées par le vent, nous enveloppèrent dans un réseau de feu.

Je n’avais jamais vu pareil spectacle, et j’avoue qu’il me causa une terreur qui laissa bien loin celle que m’avaient inspirée les tigres.

Cela ne dura pas longtemps. L’air qui était étouffant se rafraîchit. Le vent s’apaisa, et nous commencions à respirer, quand un cri de la vigie nous glaça d’effroi :

— Un homme à la mer !…