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la tour de cordouan.

— Tu t’en acquittes à merveille, vieux bavard.

— La suite, ou je prends mon Lefaucheux.

— Voilà. Une grande barque pontée, le Triton, dans le genre de celle que tu vois là-bas, c’est peut-être bien la même, partit un dimanche matin de Royan avec une société composée d’une quinzaine de personnes.

— Davantage.

— Oui, capitaine, il y avait entre autres une famille anglaise, le père, la mère, deux filles et un fils : le père, gros, court et rouge ; la mère, grande et sèche, les filles insignifiantes, et le cadet, — ils l’appelaient cadet ! — insupportable.

— Des types anglais, quoi ! ça se ressemble comme les asperges.

— Oui, capitaine. La route fut bonne. Le débarquement s’opéra sous de moins bons auspices. J’ai oublié de te dire que les embarcations ne peuvent jamais aborder. C’est un petit youyou conduit par un gardien du phare, qui vient chercher les voyageurs, et dès qu’il touche l’unique et étroit fond de sable par lequel on puisse aborder, il faut, sous peine d’entrer dans la mer jusqu’à la ceinture, accepter le secours des épaules des marins. Quand la mer est forte, cela devient impossible, tu comprends.

— Mais tu l’as déjà dit !

— Oui, capitaine. Les Anglais une fois arrivés durent faire comme les autres, ce qui leur fit jeter des cris d’horreur. Voir leurs filles portées sur le dos d’un homme ! shocking ! mais il fallut en passer par là. L’Anglais et son fils, les filles mêmes passèrent tant bien que mal. Vint le tour de la maman. Le malheur voulut que le marin qui s’offrît pour la porter à califourchon fût très-petit. C’était le père La Gloire, avec lequel nous ferons connaissance. L’Anglaise avait des jambes à n’en plus finir. Elle préféra les laisser baigner dans l’eau, plutôt que de les voir passer sous les bras d’un homme. C’était bien assez, trop même,