Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
six semaines dans un phare.

met, en cas de révolte, de tirer sur nous sans danger. Dans le carré de la drôme, qu’on appelait, par dérision, le Parc, est un escalier qui sert à descendre dans les batteries, lesquelles n’ont aucune communication entre elles. Seulement il y avait un trou percé dans la cloison que nos geôliers ne connaissaient pas, et qui nous permettait de nous rendre de mutuelles visites.

Tout autour de ce ponton, règne une galerie à claire-voie et à fleur d’eau, où les sentinelles se promènent sans cesse. Du reste, la surveillance était très-rigoureuse : les pontons étaient tous ancrés à la file ou en regard les uns des autres, les rondes se faisaient jour et nuit et chaque soir. Après l’examen minutieux des murs et des grilles, les Anglais nous comptaient absolument comme on compte des moutons.

Pour meubles, on a un banc placé le long des murs et quatre autres placés au milieu du navire ; un hamac et une couverture de laine qu’on suspend le jour à des saquets placés sur les barreaux de chaque batterie, nous servent de couche la nuit. Pour vêtements, c’est un pantalon et un gilet, couleur orange, marqués d’un T et d’un O ; pour nourriture, une livre un quart de pain bis et sept onces de viande de vache ; les jours maigres, une livre de harengs saurs ou de morue et autant de pommes de terre ; avec cela trois onces d’orge, une once d’oignon et de sel pour se faire la soupe. On ne mourait pas de faim, mais c’était bien juste.

À nous toutes les corvées, la cuisine, le lavage du pont et des batteries ; mais en voilà assez. Vous voyez la scène d’ici et je gage que vous serez encore au-dessous de la vérité. Si vous essayez de vous représenter ces hommes entassés dans un petit espace, exaspérés par des souffrances inouïes, aiguillonnés par le besoin, aigris par le malheur ! Le bagne est petit pour l’espace, il est grand pour la douleur ! Voilà comment l’Angleterre traitait nos prisonniers, tandis que les leurs se promenaient, libres sur paroles, dans les villes du centre de la France !