Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/183

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lui faisaient trembler le cœur dans la poitrine, le happaient, l’engloutissaient, l’anéantissaient. Quoi ! tant de honte et de bêtise pour l’espoir peut-être illusoire de la chair donnée, de la bouche spasmodique, des seins tendus demain en récompense, comme ils l’auraient été la veille à d’autres hommes, comme ils le seraient demain à d’autres encore…

Il voulut lutter ; il voulut se jurer qu’il la laisserait partir, qu’il la regarderait prendre le train le lendemain matin, caché derrière un pilier de la gare du Nord, afin de s’emplir encore une fois les yeux de cette vision ; il voulut se jurer qu’il la raturerait d’un furieux coup de plume du livre de sa vie…

Ne plus la voir, ne plus la voir, était-ce possible ?

Il se questionna longuement, anxieusement.

Il se répondit : « Non ! »

C’était imbécile, c’était fou, c’était lâche, c’était irrémédiable. Il accepta en se disant, en se répétant que c’était irrémédiable, lâche, imbécile et fou.

Il rôda jusqu’au matin dans les cafés des environs de la gare du Nord, les tristes cafés empuantis, où des gardes-convois dorment, les membres tassés, sur des banquettes parcimonieusement hospitalières, où des voyageurs éreintés voisinent avec des souteneurs en attendant les premiers trains du matin, où le rebut des filles de nuit, n’ayant pas trouvé preneur,