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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/130

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AUTOUR DU SOFA.

rejetèrent dans le passé ; et le jeune marquis et le vieux jardinier en vinrent à se disputer avec feu, au sujet de la cheminée où l’étourneau avait coutume de s’établir : « C’était dans celle du milieu, disait l’un ; dans celle du coin, disait l’autre. » Vous vous rappelez ce fameux nid de sansonnet, que, par suite d’une gageure, le petit Clément avait envoyé à mon fils. Ils discutèrent le mérite des différents espaliers qui couvraient les murs de la terrasse et du jardin de l’hôtel, puis ils s’endormirent tous les deux. Ce fut le vieillard qui s’éveilla le premier ; il ne ressentait plus rien de ses contusions ; peut-être était-il plus accoutumé à la dure. Clément, bien qu’il sommeillât toujours, avait la fièvre, son bras cassé le faisait horriblement souffrir et lui arrachait des cris de douleur. Jacques regardait avec tristesse les joues enflammées, les lèvres pâles du jeune homme, et se plaça de manière à lui soutenir la tête, en lui faisant un oreiller de son corps. Ce mouvement réveilla le pauvre blessé, qui, dans son agitation fébrile, se mit à parler de Virginie, ce qu’il n’aurait jamais fait s’il eût été dans son assiette ordinaire ; car, après avoir décapité ou pendu ce qu’il y avait de plus noble en France, cette canaille altérée de sang commençait à prendre ses victimes dans toutes les classes de la société ; d’où il résulte qu’à l’époque dont nous parlons il y avait à L’Abbaye fort peu de gens de naissance. Mais Jacques avait dans le cœur autant de délicatesse qu’une femme de bonne maison, — notez bien qu’il ne savait ni lire, ni écrire, — et il se baissa de manière à permettre que son maître lui communiquât tout bas ses dernières volontés. Pauvre Clément ! il savait bien qu’il n’échapperait pas à la mort ; la guillotine ou la fièvre devait nécessairement l’emporter. Or donc, lorsqu’il aurait cessé de vivre, Jacques devait aller trouver Mlle de Courcy, lui dire que son cousin l’avait aimée jusqu’à son dernier