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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/261

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UNE RACE MAUDITE.

Ces malheureux n’avaient pas même le pouvoir d’émigrer ; il suffisait que l’un de ces parias voulût transporter sa masure d’un endroit à un autre, pour exciter la colère et les soupçons des habitants de la commune. En 1695, il est vrai, le gouvernement espagnol ordonna aux alcades de rechercher tous les membres de la caste maudite, et de les expulser du royaume avant que deux mois fussent écoulés, sous peine d’une amende de cinquante ducats par tête de cagot que l’on trouverait en Espagne, à l’expiration du terme fixé. À peine cet édit fut-il rendu que les paysans se levèrent en masse et chassèrent à coups de fouet les réprouvés qui habitaient leur voisinage. Mais les Français, de leur côté, s’étaient mis en mesure de repousser l’invasion, et refoulèrent à leur tour les cagots dans les Pyrénées, où la plupart des proscrits moururent de faim et de misère, ou devinrent la proie des bêtes féroces.

Ceux qu’on pourchassait ainsi étaient contraints de porter des gants et des souliers pour ne pas salir de leur contact les lieux qu’ils devaient traverser, les garde-fous, les balustrades sur lesquels ils auraient pu s’appuyer, et qui, d’après la croyance populaire, auraient transmis à d’autres le poison que les fugitifs y auraient déposé.

Il ne faut pas croire cependant qu’il y eût chez ces malheureux aucun signe extérieur qui pût inspirer le dégoût. Rien dans l’aspect des cagots ne pouvait faire imaginer qu’ils fussent atteints de la lèpre, ce qui était le moyen le plus naturel d’expliquer l’exécration dont ils étaient l’objet. Ils furent examinés plusieurs fois par de savants docteurs en médecine dont les expériences paraissent avoir été faites dans un esprit d’humanité. En l’an 1600, par exemple, les chirurgiens du roi de Navarre saignèrent vingt-deux cagots des deux sexes, jeunes et vigoureux, afin d’analyser leur sang, et d’en ex-