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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/263

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UNE RACE MAUDITE.

cartilagineuses et privées du lobe charnu qui supporte la boucle d’oreille. Les médecins déclarèrent que la plupart des cagots qu’ils avaient examinés avaient en effet l’oreille ronde ; mais ils ne voyaient pas dans ce fait, ajoutaient-ils gravement, que ce fût une raison suffisante pour les exclure du commerce des hommes, et pour leur interdire les fonctions ecclésiastiques et civiles.

Néanmoins, continuent les rapporteurs, dans les villes où les cagots viennent acheter les objets qui leur sont indispensables, les enfants ont le droit de les poursuivre et de leur adresser des railleries insultantes au sujet de la forme particulière de leurs oreilles, qui offrent quelque ressemblance avec la manière dont les bergers du pays taillent celles de leurs moutons.

Une jeune fille cagote, d’une beauté remarquable et qui avait une voix ravissante, nous dit encore le docteur Guyon, sollicita un jour la faveur de chanter des cantiques dans la tribune de l’orgue. Plus musicien que dévot, l’organiste, à qui cette demande avait été faite, consentit à recevoir la jeune fille ; mais l’assistance indignée, découvrant à qui appartenait cette voix fraîche et mélodieuse, se précipita vers la tribune, d’où elle chassa la maudite, lui intima de se ressouvenir de ses oreilles et de ne plus commettre un sacrilège en chantant les louanges du Seigneur de concert avec les purs.

Toutefois ce rapport, où le docteur s’appuyait sur des faits incontestables pour affirmer qu’il n’y avait aucune raison physique de repousser les cagots de la société, ne servit pas mieux les intérêts de ses clients que ne l’avaient fait les édits promulgués depuis deux siècles. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas être convaincu, et le docteur, en prouvant aux hommes de race pure qu’ils devaient regarder les cagots comme leurs semblables, ne fit qu’augmenter la rage de ceux qu’il avait cru persua-