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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/30

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AUTOUR DU SOFA.

pour Sa Seigneurie un grand désappointement, une vive contrariété ; mais elle s’était fait une règle invariable de ne jamais prendre un domestique sachant écrire. Deux fois cependant, malgré cette faute irrémissible, je lui ai vu poursuivre l’examen et soumettre la postulante à une épreuve extraordinaire en lui faisant répéter les dix commandements de Dieu. Malheureusement une de ces pauvres filles, dont la mine éveillée était déjà un grand tort, après avoir répondu de la manière la plus satisfaisante, perdit tout à coup ses avantages en disant avec assurance, après avoir terminé son dixième commandement :

« S’il plaisait à milady, je pourrais lui faire une addition, je connais bien mes quatre règles.

— Une addition, malheureuse ! sortez d’ici bien vite, lui fut-il répondu ; vous pouvez entrer dans le commerce, mais vous ne sauriez me convenir en qualité de domestique. »

La jeune fille, qui plus tard épousa un riche drapier de Shrewsbury, s’en alla toute confuse. À peine avait-elle fermé la porte que je fus priée d’aller la rejoindre et de lui faire servir à goûter. Quelques instants après, milady fit revenir la pauvre créature ; mais c’était uniquement pour lui donner une Bible et pour l’avertir de se mettre en garde contre les principes révolutionnaires qui avaient conduit les Français à couper la tête du roi et celle de la reine de France.

« Je vous assure, milady, balbutia la jeune fille, que je ne ferais pas de mal à une mouche, encore bien moins au roi, et que je ne peux souffrir ni les Français ni les grenouilles. »

Mais milady fut inexorable, et prit une servante qui savait à peine compter ses dix doigts, afin de protester contre les progrès que l’arithmétique faisait chaque jour