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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/81

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LADY LUDLOW.

« Si M. Gray, le digne jeune homme, avait mon expérience, il ne mettrait pas tant d’ardeur à poursuivre ses plans, en dépit de ma volonté et des raisons que je lui oppose.

« Il faut, continua milady en s’échauffant à ses propres souvenirs, il faut que les temps soient bien changés, pour qu’un pasteur de village ose braver la dame qui, après tout, est le seigneur de la paroisse. À l’époque où vivait mon grand-père, le pasteur était le chapelain de la famille et dînait tous les dimanches au château ; il était servi le dernier de tous et devait avoir fini le premier ; je me rappelle qu’un jour il prit son assiette et son couvert, et que se levant la bouche pleine : « Que Vos Seigneuries, dit-il, me permettent de suivre le rôti à l’office. » Il est vrai que c’était la seule chance qu’il eût d’en avoir un second morceau, et notre homme était gourmand. Une fois il avait à lui seul dévoré toute une bécasse ; il se prit à dire, pour détourner l’attention, qu’un choucas, mariné dans le vinaigre et assaisonné d’une façon particulière, valait au moins autant que la meilleure bécassine. Je vis dans les yeux de mon aïeul que le chapelain avait fait une sottise dont il porterait la peine. Le vendredi suivant, comme j’étais à cheval sur mon petit poney, à côté de mon grand-père, ce dernier s’arrêta pour dire à l’un des gardes-chasse de lui tuer la plus vieille corneille qu’il fût possible de trouver. Je n’en sus pas plus long jusqu’au dimanche, où un vieux corbeau fut placé devant le pasteur. « Il a été mariné dans le vinaigre et accommodé suivant votre recette, monsieur Hemming, lui dit M. le comte ; mangez-le d’aussi bon appétit que la bécasse de l’autre jour, et nettoyez bien les os, ou, par ma foi, ce sera le dernier dîner que vous prendrez à ma table. » Je regardai le pauvre chapelain, qui s’efforçait d’avaler sa première bouchée en faisant croire qu’il la trouvait excellente, et je baissai les yeux, toute confuse de l’embarras où je le voyais, d’autant plus