Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/119

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de glisser ces deux lettres dans la poche de mon habit ? Je ne le sais vraiment pas.

Je me sentais mal à l’aise, le cœur me manquait, et je répondais tout de travers, j’imagine, aux questions dont ma tante persistait à me harceler. Fort heureusement l’ouverture des caisses me fournit un prétexte de monter dans ma chambre. Là, je m’assis sur le bord de mon lit, et je brisai le cachet de cette lettre fatale.

J’aurais pu dire par avance, et presque mot pour mot, ce qu’elle contenait. Oui, si surprenant que cela paraisse, je savais que Holdsworth allait épouser Lucile Ventadour…

Et que dis-je ? Ils étaient déjà mariés, car la nouvelle m’arrivait le cinq juillet, et les noces avaient dû se faire le vingt-neuf juin. Les motifs qu’il alléguait, les élans enthousiastes auxquels il s’abandonnait, je les avais tous pressentis, je les connaissais, ils n’avaient rien de nouveau pour moi.

Mes yeux se détachèrent de la lettre que mes mains retenaient machinalement, et je regardai vaguement par la fenêtre ouverte. Sur le tronc d’un vieux pommier chargé de lichen, je vis un nid de pinsons et la mère qui revenait porter quelques bribes à sa jeune couvée. Il faut bien que je l’aie vu, ce nid, puisque aujourd’hui même il se représente à ma mémoire avec une telle netteté que j’en dessinerais la moindre fibre et la moindre plume. Cette écrasante rêverie fut interrompue par un bruit de voix animées et de pas pesants : il annonçait le retour des travailleurs qui venaient dîner.

Phillis était avec eux.

Aurais-je donc à lui dire ?… Et comment le lui cacher, puisque le nouveau marié, dans sa puérile exaltation, m’annonçait l’envoi de ses wedding-cards[1] à tous

  1. Nos lettres de faire part sont remplacées en Angleterre par