Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/190

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celui qui, le premier, avait parlé à son imagination et sollicité les battements de son cœur.

Justement la veille du jour où il devait quitter Hamley, le printemps se manifesta par une sorte d’explosion soudaine. Le soleil satura de ses chaudes émanations une atmosphère subitement attiédie ; les bourgeons verdirent et se gonflèrent en quelques heures ; le ciel dépouilla les nuages plombés qui en masquaient l’azur. Pendant le déjeuner une promenade à cheval avait été arrangée. M. Wilkins, qui devait en être, ne vint pas à l’heure dite et fit manquer la partie. Ellenor, bientôt consolée de ce contre-temps, imagina de remplacer le plaisir perdu par un petit thé en plein air. La table fut dressée contre un mur où venaient se refléter les derniers rayons du couchant, et sous une tonnelle, encore dégarnie de feuillage, qui ne leur opposait aucun obstacle sérieux. Ce fut là qu’on attendit le retour du maître de la maison. Il parut enfin, plus sombre et plus soucieux qu’à l’ordinaire, et il serait passé devant les trois convives qui le guettaient sans les avoir aperçus, si Ellenor s’élançant sa rencontre, ne l’avait, en riant, déclaré son prisonnier. Mais elle eut beau faire, il semblait que rien ne pût le débarrasser d’un souci rongeur. Il s’excusa seulement de sa maussaderie en se plaignant d’une sorte de frisson intérieur qu’il attribuait au froid de la saison : « Singulière idée, de prendre le thé dehors par un froid comme celui-ci ! » s’écria-t-il enfin, boutonnant son paletot. Sa voix tremblait en articulant ces mots ; toute son attitude rappelait une locution populaire usitée en pareille circonstance, et selon laquelle on est pris de ces frémissements inexplicables quand on passe sur le sol qui doit un jour s’ouvrir pour recevoir votre dépouille mortelle. Cet incident, au surplus, n’eut aucunes suites, et la trace qu’il laissa dans l’esprit d’Ellenor se serait promptement effacée, s’il ne lui eût été cruellement rap-