Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/235

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avec irritation, même lorsqu’elle cherchait une voie détournée pour en venir à lui faire accepter un pareil entretien ; mais, devant elle, il se laissait parfois aller à d’étranges emportements… Cependant, au plus fort de sa colère, s’il venait à rencontrer le regard terrifié de sa fille, il faisait pour se calmer et prendre sur lui-même un tel effort, qu’il lui en coûtait parfois des larmes, des sanglots nerveux, terribles à voir. Ellenor ne comprenait pas que ces faiblesses séniles étaient la suite des habitudes d’intempérance qu’il avait peu à peu contractées ; elle n’y voyait que les symptômes effrayants d’une conscience bourrelée, et s’épuisait en vains efforts pour ramener dans cette âme agitée un peu de la sérénité d’autrefois. À ce travail ingrat ses forces morales, sa beauté, sa jeunesse s’usaient peu à peu. Dans tous les détails matériels de la vie, miss Monro lui était un précieux auxiliaire, d’autant que cette excellente mais inintelligente personne, ne pouvait en aucune circonstance démêler ce qui se passait dans le cœur de son élève, et ne lui imposait par conséquent aucune crainte. Quant à Dixon, il restait le fidèle allié de la jeune fille, bien qu’ils échangeassent à peine quelques paroles, de temps à autre, et sur des sujets tout à fait indifférents ; mais leur mutuel silence n’avait rien de commun avec celui que gardaient Ellenor et son père vis-à-vis l’un de l’autre. Il tenait à cette pitié, encore mêlée de respect, dont ils se sentaient émus pour l’homme coupable qu’ils avaient si bien aimé.

Tel était l’état des choses à Ford-Bank, lorsque le jeune Corbet y revint avec la conscience d’un véritable sacrifice accompli. N’avait-il pas fallu renoncer, pour cette visite, à deux ou trois de ces invitations qu’il appréciait par-dessus toutes, et pour lesquelles il négligeait les fêtes les plus attrayantes : invitations substantielles, pour ainsi dire, qui l’eussent mis en rapport avec les