Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/32

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liers qu’elle visitait le plus assidûment, environ cinq cents ouvrières irlandaises de la plus basse classe et de la pire espèce, turbulentes, mauvaises. Quand la cloche sonnait, impatientes d’échapper à la réclusion et à la discipline, qu’elles détestaient, elles se précipitaient vers la sortie, en foule et furieuses il en résultait de graves accidents. La maîtresse de l’atelier fit venir un ancien soldat qu’elle chargea de garder la porte et d’imposer l’ordre ; mais, après un jour ou deux d’expérience, il fut tellement effrayé qu’il quitta, « ne voulant pas, disait-il, risquer de se faire casser un bras ou une jambe. » Maman décida de suite qu’elle prendrait son poste, et qu’elle échangerait une poignée de mains au passage avec chaque ouvrière, en lui souhaitant le bonsoir. Elle espérait que cette confiance en leur bonne conduite développerait leur instinct de courtoisie. Elle avait deviné juste : là où tout avait échoué, elle réussit. L’ordre se rétablit. On voyait ces grandes filles, incultes et rudes, défiler une à une, et, rougissant de plaisir, s’arrêter, tranquilles et douces, « pour serrer la main de la dame[1]. »

Oui, certes, ce petit trait, qui nous paraît si grand, caractérise bien le noble cœur qui a trop tôt cessé de battre. Dieu, qui lui avait tant donné, lui ménageait une douce mort. Ce fut à Alton, près de Manchester, où elle s’était retirée pour terminer son dernier roman, qu’entourée de ses filles, leur parlant encore, échappa à la cruelle angoisse de la séparation, et passa tout à

  1. Extrait d’une lettre de la fille aînée de Mrs Gaskell à madame Mohl.