Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/332

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de pair avec Gilbert, il me fallait mettre toutes voiles dehors, car mon séjour à Lindal m’avait fait oublier en grande partie ce que j’avais naguère appris à l’école, et je m’abstins pour un temps de certaines extravagances que j’avais honte de lui laisser connaître. Mais ceci dura peu. Je commençai à le soupçonner de quelque attachement pour une jeune fille que j’aimais beaucoup, mais qui jusqu’alors m’avait tenu à distance… C’était, dans ce temps, la plus jolie du pays. On n’en voit plus qui lui ressemblent. Il me semble parfois la guetter encore de l’œil, sur la route, marchant comme à la danse, et rejetant en arrière, par un mouvement de tête, ses longs cheveux dorés, pour me lancer, à moi, ou à tout autre, quelques paroles railleuses… Comment Gilbert ne s’en serait-il pas épris, elle si gaie, lui si sérieux et si volontiers pensif ! Mais quand je m’avisai que peut-être bien l’aimait-elle aussi, cette idée me mit du feu dans le sang. Je commençai à le haïr, toute action de sa part m’étant un nouveau motif de lui en vouloir. Naguère je l’admirais pendant nos jeux, en extase devant son agilité, devant ses exploits au cricket ou aux palets ; et désormais je grinçai des dents, malgré moi, chaque fois qu’il se signalait aux yeux de Letty par quelque tour de force ou de dextérité. Bien qu’elle lui tînt la dragée tout aussi haute qu’aux autres, je devinais bien, à certains jeux de physionomie, les progrès qu’il faisait dans son affection. Le Seigneur Dieu me pardonne… quelle haine je portais à cet homme !…


Il parlait comme si cette haine eût daté de la veille, tant lui étaient encore présentes les ressouvenances de sa jeunesse. Mais ensuite, baissant la voix :


Or donc, reprit-il, je ne pensais plus qu’à lui chercher